FEMMES BATTANTES

Ode à nos bleus, égratignures, cicatrices récoltés vaillamment sur les terrains de rugby – Collection et série photographique, 2016-2022.

 

 

 

 

Depuis que j’ai commencé le rugby, rien ne m’amuse plus que la fascination des joueuses pour leurs bleus, égratignures et cicatrices en tout genre. Ce qui, dans l’imaginaire collectif, est considéré comme laid, non féminin et même la preuve de la violence terrible que quelqu’un exerce sur nous, devient un chef d’œuvre esthétique à nos yeux, le souvenir d’un match de rugby passionné.

 

Parce que le bleu en lui-même ne signifie rien. Nous évoluons dans cette ambivalence permanente, souvent questionnées par un médecin ou un proche inquiet sur l’origine des bleus qui parsèment notre corps, et pourtant si fières de répondre : « je joue au rugby ». 

 

Car pour les joueuses, le paradigme s’inverse. Le regard se modifie. Notre peau marquée devient la preuve de notre liberté absolue. Celle de pratiquer le sport que nous aimons, souvent envers et contre tous les préjugés (« Qu’entends-je ? Le rugby déformerait le corps des femmes ? Serait trop violent pour elles ? Une atteinte à leur sacro-sainte féminité ? »*). Aujourd’hui, je trouve les bleus magnifiques, surprenants, capables d’une palette de couleurs souvent étonnante (violet, bleu, jaune, rose…). J’ai voulu traduire par cette collection la manière dont je voyais un corps coloré d’impacts, sculpté par l’effort, sublimé par le combat. 

 

Il devient un trophée que nous exhibons fièrement dans les vestiaires. Chacune y va de son commentaire, sa comparaison, sa blague. Alors depuis des années, je récolte les photos, selfies et cadrages acrobatiques que les joueuses envoient sur des conversations à leurs coéquipières, amis et familles. Ce rituel répandu dans toutes les équipes du monde de documenter avec une très grande fierté les traces de notre combativité. Jambes, bras, fesses, visages, oreilles et nez se côtoient dans ma pellicule. Et je rigole beaucoup en recevant des centaines de bleus des quatre coins du globe pour faire exister cette œuvre commune : nous sommes des femmes battantes.

 

*« Je pense que le rugby – sport de contact exigeant des qualités d’endurance, de robustesse foncière et de virilité – est contre-indiqué pour les jeunes filles et les femmes pour des raisons physiologiques évidentes. » Marceau Crespin, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, 1972. Le ton est ici léger mais nous n’oublions pas que le combat mené en dehors des terrains est souvent le plus violent.

Merci à toutes les joueuses qui m’ont envoyé leurs bleus. J’ai plus de 250 images et je n’ai pas tout utilisé. Mon équipe adorée, les Birds, Paris (Juliette, Natacha, Blanche, Mélanie, Marion, Antoinette, Clem, Inès, Léanna, Alice, Blanche, Clothilde, Camille, Elsa, Mahault, Justine, Juliette, Léa, Cristina, Victoria) ; L’équipe de l’ASM Romagnat (Fanette, Caroline Thomas -internationale en équipe de France-, Camille, Léa, Herminie, Cécile) ; Sita et toute son équipe du club de Pantin en alliance avec Bobigny ; L’équipe du SCUF-Le Porc de Paris (Léopoldine, Rose, Blanche, Clotilde, Yasmeen) ; Les joueuses de Toulouse cheminot magengo sport (TCMS) ; L’équipe de UCL Londres (Elsa, Harmony, Julie, Kirsten, Kirsty,  Ibti, India, Skylar) ; L’équipe de Dundee, Écosse (Gemma, Rachel, Catherine, Gabrielle, Lucy, Madeleine, Mandy, Natalie, Nikaila, Sally, Sian) ; Les joueuses de la sélection de Bogota, Colombie (Laura, Mery, Jade) ; Rain, University of Warwick ; Bego, Bilbao, Espagne ; Ana, Poitiers ; Anayet, Poitiers ; Léa, Copenhague ; Sophia, Vincennes. Et toutes celles que j’ai peut-être oubliées de mentionner.

JADE VERDA